Quand la violence s’en prend à Job

La violence est une force utilisée contre le droit, contre la loi ou contre les personnes ; une outrance, une contrainte qui se manifeste, se produit ou produit ses effets avec une force intense, extrême, brutale ; tout ce qui est emporté, véhément, outrageant, agressif, brutal, porte la marque de la violence ; les accidents, les suicides, les meurtres, le péché en sont une expression manifeste.
Le livre de Job est, comme toute parole de Dieu, d’une richesse si inépuisable dans son interprétation et pour en tirer profit dans la vie quotidienne que l’on y découvre difficilement son enseignement unique dans l’histoire ancienne des hommes. Job est le première victime connue à inverser consciemment le rapport « innocence – culpabilité » qui régit depuis la nuit des temps les relations entre une victime et ses persécuteurs et qui statue : la victime a tord et ses nombreux accusateurs raison. C’est Job qui révèle clairement que l’unanimité dans la persécution et l’accusation des groupes humains est rarement porteuse de vérité mais le plus souvent qu’un phénomène mimétique et tyrannique. Par la suite, les sages en Israël l’ont bien compris et recommandent : « Si tout le monde est d’accord pour condamner un prévenu, relâchez-le, il doit être innocent ».
Le livre montre un Job qui est d’abord vénéré par une foule qui ne voit en lui qu’un bienfaiteur qu’elle aime voir pour le féliciter, lui rendre témoignage et le bénir. Mais curieusement, d’un seul coup cette même foule se retourne dans une hostilité unanime contre son idole devenu à ses yeux coupable et puni par Dieu par la perte de ses enfants, de ses biens et de sa santé. Vite la foule s’érige en procureur et, se prenant pour Dieu, s’efforce, à travers les trois plus proches « amis » de Job : Eliphaz, Bildad et Tsophar, d’obtenir son assentiment au verdict qui le condamne. Ce comportement accusateur majoritaire est clairement le résultat d’un mimétisme ambiant et aveugle ; une foule n’exprime que rarement la vérité.
« Qui se fera l’accusateur de ceux que Dieu a élus ? C’est Dieu qui justifie ; Qui donc condamnera ?» (Romains 8, 33)
Mise à l’écart, plaint, isolé, malade et abandonné de tous Job hésite et vacille ; que faire lorsqu’on est condamné par une communauté unanime, ses amis, et même par sa propre femme ? Finalement une pensée audacieuse se fait jour en son cœur et Job se ressaisit, résiste et triomphe de la contagion totalitaire des « amis ». Il ose mettre en doute sa culpabilité, celle imputée à la victime condamnée par une communauté unanime, en s’écriant :
« Je sais, moi, que mon Défenseur est vivant. » (Job 19,25)
Son comportement est une première dans l’histoire des hommes. En inversant le rapport entre l’innocence et la culpabilité, entre la victime et ses persécuteurs, Job parvient à arracher Dieu du processus d’accusation dans lequel l’ont confiné les hommes. Job s’élève contre cette conception universelle exprimée par « ses amis » d’un « Dieu vengeur » pour révéler le vrai Dieu : le « Dieu des victimes ».
Cette conception évangélique avant le temps du rapport entre victimes et persécuteurs, entre innocence et culpabilité, est la pierre d’angle de l’inspiration biblique qui innocente les victimes et culpabilise les persécuteurs et les accusateurs. C’est Job, la « victime », qui est finalement innocenté et ses trois « amis » qui sont déclarés coupables et blâmables pour l’avoir persécuté.

« Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité, et ne servent qu’à la relever davantage » (Pascal).

K. Woerlen (publié le 15 octobre 2015)